Imaginons que vous, gentil auteur, vous écriviez une scène dans une forêt, en montagne. Ou alors, un technicien qui est en train de corriger le câblage électronique d’un avion en plein vol. Alors, de quelles espèces sont les arbres ? Quelle est la roche sur laquelle ils poussent, le terreau, le gibier, le climat ? Comment on branche un circuit à la masse dans un avion, est-ce que les circuits intégrés sont reprogrammables, et ce condensateur, il ne serait pas un peu à l’envers dites voir ?
Le trait est grossi, mais l’idée est là. Dès qu’il veut un peu rentrer dans les détails, on pourrait croire que l’écrivain doit tout connaître, sur tout, tout le temps. C’est comme ça. Après tout, s’il ne voulait pas avoir ce poids sur les épaules, il n’avait qu’à pas se prendre pour Dieu.
Alors soit vous la jouez à la Ray Bradbury, et vous omettez tout les aspects techniques qui n’ont aucune importance. Vous voulez allez en fusée de la Terre à Mars en trois semaines ? D’accord ! « Ils prirent la fusée qui les amena en trois semaines sur Mars », et voilà !
Soit vous voulez donner de la chair à votre monde ; ça peut être utile, ça peut donner de la profondeur à l’univers, aider le lecteur à appréhender l’environnement, les technologies à disposition et toutes ces choses. Et là, méfiance ! Parce que dès que vous parlerez d’un sujet un petit peu compliqué, soyez sûr qu’un lecteur en saura davantage que vous. Et si vous racontez n’importe quoi sur ce qu’il sait, comment pourra-t-il vous croire sur le reste qu’il ne connaît pas ?
Mais alors me direz-vous, que faire ? Faut-il potasser tous les ouvrages scientifiques, techniques, d’ingénierie, médicaux, d’histoire, de géographie, de politique, et mes douilles sur ton nez ça fera des méta-lunettes ? Eh bien mon bon lecteur, je te dirais, de mon avis personnel, qu’en fait non, parce qu’on s’en fout un peu.
Prenons l’exemple que je connais : l’informatique, et le piratage. La scène de hacking est un classique de la SF, que cela soit la neuromatrice des Racines du mal de Maurice G. Dantec, les hackers survoltés sous cachetons de La Zone du Dehors d’Alain Damasio, ou, plus largement, dans n’importe quel jeu vidéo d’infiltration comme Deus Ex ou n’importe quel film dans lequel un terminal clignote un peu trop au premier plan.
Eh bien il faut le dire, je n’ai jamais lu une seule scène de hacking qui m’est parue vraisemblable. Non, le hacker n’a pas forcément dix écrans sous les yeux avec la matrice qui défile en vert sur noir. Non, il n’évolue pas dans des pseudo-décors 3D pour pirater. Non plus, taper plus vite sur son clavier ne le rend pas plus efficace, et si, des fois il utilise la souris, comme n’importe qui.
Mais scoop : ce n’est pas parce que ces scènes décrites me tirent un sourire amusé que je crache à la gueule de l’auteur pour autant. Déjà, parce que ce n’est pas très respectueux, et ensuite, parce que c’est normal : je lis un ouvrage de fiction, pas un manuel technique. J’accepte l’entorse commise à la réalité parce que le récit s’en trouve gagnant, tout simplement. Si un type subit une opération chirurgicale, je n’ai pas envie d’assister aux rendez-vous préalables, à la douche de bétadine, puis d’attendre avec lui la concertation du collège d’experts. S’il va ensuite dans une usine, peu m’importe que les consignes de sécurité soient respectées en fonction des exigences ISO-9000. Je n’exige qu’une chose : que l’univers paraisse crédible.
Tenez, si je devais me baser sur mon expérience professionnelle, voilà à quoi ressemblerait une scène de hacking.
Théo renifla après avoir consulté les logs qui s’affichaient sur sa console, blancs sur noir. Il hésita un instant, puis écrivit deux lignes, deux ordres bien précis : configuration des bots, puis lancement de leurs routines. Pour les heures qui allaient suivre, les IA allaient parcourir toutes les adresses possibles, tous les ports existants, à la recherche de la faille, la minuscule brèche dans la sécurité des serveurs qui l’intéressaient. D’ici là, il aurait le temps de se faire un bon bol de ramen, en se matant l’un ou l’autre épisode téléchargé la nuit dernière de House Of Met Your Mother. Théo se passa la langue sur les dents en songeant au parfum qu’il allait choisir pour les nouilles. Crevettes, peut-être. Il en avait assez du poulet, et puis, cette fois, il était sûr que ses scripts n’échoueraient pas.
C’est pas folichon, hein ? On regrette soudain les codeurs hirsutes sous ectasy, qui pianotent comme des fous et voient des têtes de mort sur leurs écrans aux éclairages fluos, n’est-ce-pas ?
Je n’étendrai pas l’article plus longuement. Juste pour terminer, je signalerai que tout ça est sans doute très lié à la suspension consentie de crédulité, à ses limites, sa géométrie variable, etc., etc., et ça me fera un très chouette autre article de blog.
Tiens, et si le sujet vous intéresse, je vous invite à aller voir cet article de Jérôme Cigut, qui traite aussi du sujet de l’expérience selon un autre angle.
Et pour finir, l’artiste du jour, Toniinfante, avec une illustration très réaliste de ma vie quotidienne, et tout son chouette porfolio sur Deviant Art.
Jérôme
mars 29, 2014 at 5:03J’aime beaucoup ta vidéo! Merci pour le lien.